F. Magne pêchant avec succès une truite dans une rivière d’Alsace, vers 1950.
Collection familiale.
Le professeur Francis Magne est décédé le 22 Mai 2014 à Yerres (91) et est né le 19 janvier 1924 à Paris. Il a terminé sa carrière professionnelle d’enseignant/chercheur en 1992, à l’Université P. & M. Curie, en dirigeant le laboratoire de «Biologie Végétale Marine» (BVM), créé par le professeur Jean Feldmann. Ses parents étaient des petits commerçants. Malgré une ambiance familiale non orientée vers les études universitaires, F. Magne présente une carrière exemplaire en ayant participé aux trois niveaux d’enseignement français: primaire, secondaire, supérieur, pendant une période historique particulièrement difficile. Après une scolarité réussie pour être instituteur dans l’enseignement primaire (1943), il obtient ses grades universitaires à la Sorbonne (1945) tout en étant surveillant d’externat au lycée Turgot, où il côtoie Marius Chadefaud qui aura une grande importance dans sa vie scientifique. Il obtient ensuite un Diplôme d’Etudes Supérieures(1), passage obligé pour se présenter aux épreuves de l’agrégation. Il est brillamment reçu (1948) à ce concours, voie royale pour enseigner dans les lycées et, en conséquence, il est affecté comme professeur agrégé au lycée de Colmar puis au lycée Lakanal à Sceaux. Dès octobre 1951, il commence sa carrière dans l’enseignement supérieur en étant nommé assistant à la Sorbonne, service du PCB(2) où J. Feldmann enseignait déjà. C’est ainsi que ce dernier a pu avoir une influence sur l’orientation de F. Magne vers les algues marines.
Très rapidement ses recherches se font à partir de la Station Biologique de Roscoff. Il y est nommé assistant en octobre 1954 car le directeur d’alors, Georges Teissier, bien que zoologiste, veut favoriser le développement d’études sur les algues marines. C’est ainsi que F. Magne participe aux activités de la station en les complétant par un volet botanique tout en y assumant, en outre, les fonctions de régisseur efficace et rigoureux! Dès 1956, il collabore avec J. Feldmann, pour lancer l’organisation des stages spécialisés de biologie végétale marine. Ses recherches personnelles sur les algues, aboutissent à une thèse très remarquée tant au plan national qu’international(3). En octobre 1965, Il est nommé à la Faculté des Sciences de Rennes-Beaulieu puis, en octobre 1971, à l’université de Paris VI-Jussieu devenue «Université P. & M. Curie». Au sein de cette dernière, il a la responsabilité de la coordination du certificat n°1 de botanique, tout en poursuivant ses recherches dans des locaux voisins de ceux que le professeur Chadefaud continuait de fréquenter assidûment. En 1976, F. Magne succède à J. Feldmann et assure la direction du laboratoire «BVM». Il reste à sa tête jusqu’en 1992 date de son propre départ en retraite en ayant, hélas le triste privilège, à la suite de nouvelles politiques de recherches, de fermer ce centre qui pendant plus de 40 ans a été mondialement reconnu pour avoir ressuscité et renouvelé la phycologie en France. Avec l’aide du professeur Alain Couté, alors directeur du «laboratoire de Cryptogamie», Francis Magne a poursuivi ses recherches au sein du Muséum National d’Histoire Naturelle, mais ses forces se sont affaiblies progressivement.
En ce qui concerne ses activités scientifiques, outre sa renommée mondiale de chercheur en phycologie, F. Magne doit être considéré comme un pionnier et un défricheur dans deux domaines particuliers: les champignons lichénisants d’une part et la plongée sous-marine d’autre part. Pour son Diplôme d’Etudes Supérieures (DES), publié en 1947(4), il est le premier à analyser le complexe apical des asques chez certains lichens, prolongeant ainsi les recherches entreprises par M. Chadefaud, sur la structure et le fonctionnement du système apical de déhiscence des asques chez les champignons ascomycètes. Ultérieurement, ce thème de recherches a été développé par de nombreux chercheurs en lichénologie. Du 25 août au 6 octobre 1952, il a participé à la campagne de la «Calypso» au «Grand Congloué» situé à une dizaine de kilomètres de Marseille. Ses observations, obtenues en plongée sous-marine à l’aide du scaphandre autonome «Gagnan-Cousteau», sont publiées en 1956(5). Il est l’un des premiers phycologues en France à suivre l’exemple de P. Drach, zoologiste, pour observer in situ les peuplements marins. Mais, alors que Julius Ernst en Manche ou Roger Molinier en Méditerranée, suivis de bien d’autres, ont développé et généralisé cette technique, il est à noter que F. Magne ne l’a plus pratiquée et s’est consacré à d’autres thèmes de recherches sur les algues. Par l’importance des résultats scientifiques obtenus, F. Magne reste un chercheur de renommée mondiale A partir d’observations longues, minutieuses, souvent difficiles, suivies de réflexions personnelles rigoureuses, il est parvenu à des conclusions qui ont révolutionné les concepts classiquement admis avant lui. Ceci a été tout particulièrement remarquable en ce qui concerne nos connaissances sur les cycles de vie des algues rouges. Sa communication présentée au 4th International Seaweed Symposium (18/24 Septembre 1961 à Biarritz, France) en est un exemple emblématique(6). En effet devant cette communauté de phycologues réunis, il démontre qu’à partir de “dénombrements chromosomiques pratiqués chez un certain nombre de Rhodophycées à cycle supposé haplophasique…la méiose n’avait pas lieu comme le veut l’opinion classique immédiatement après la fécondation. [En conséquence] ces algues ne peuvent avoir qu’un cycle haplo-diplophasique et très vraisemblablement un cycle morphologique trigénétique.” Ainsi l’enseignement de la phycologie en a été bouleversé. Ces observations ont entraîné des recherches sur les cycles de vie des algues pendant plus d’un quart de siècle, à commencer par une synthèse de F. Magne lui-même(7) d’une grande qualité pédagogique avec des schémas originaux très explicites particulièrement utiles aux enseignants. Un aperçu des principaux thèmes que F. Magne a explorés est donné par le professeur Michael Wynne pour accompagner les publications dédiées à F. Magne, à l’occasion de son 75ème anniversaire(8). Sa carrière, présentée en anglais, est en cours de publication dans Cryptogamie-Algologie (R. Delépine & L. Le Gall). Une liste complète de ses publications est en cours de réalisation au Museum National d’Histoire Naturelle (D. Lamy & L. Le Gall).
Plusieurs taxons ont été dédiés à F. Magne par d’autres chercheurs, en témoignage d’estime et de reconnaissance, tels que : Rhodosorus magnei Fresnel & Billard ; Dasya magnei Ballantine ; Veleroa magneana A. J. K. Millar. Il a, lui-même ou en collaboration, décrit de nouveaux taxons ou participé à la mise à jour de leur nomenclature, comme par exemple : Apistonema aestuari Magne; Audouinella boryana Abdel-Rahman & Magne ; Fucus muscoides (A. D. Cotton) Feldmann & Magne alias Fucus cottonii Wynne & Magne.
Ses qualités d’enseignant ont toujours été appréciées. Grâce à un esprit clair et à de réelles qualités pédagogiques, avec une belle aisance pour illustrer ses exposés, il a marqué de nombreuses générations d’élèves. Il maniait la langue française avec une grande sûreté en recherchant continuellement le mot juste et de ce fait avait une diction bien reconnaissable. Tout ce qu’il entreprenait était réfléchi et achevé de la meilleure manière. Il était un bricoleur de génie et avait la passion des choses bien faites comme ses nombreuses réalisations pratiques le démontrent qu’il s’agisse de son camion aménagé de ses mains en «camping-car» si utile pour les prospections phycologiques ou … le partage de certains pique-niques «gastronomiques» avec d’autres amis, de l’organisation et des montages instrumentaux dans sa stalle de travail ou ceux donnés en cadeau à des collègues ou bien encore de son intérêt et de ses réussites dans l’entretien d’un grand jardin et de la nature végétale en général. Sa passion pour la pêche – et sa connaissance approfondie des rivières à truites en Bretagne – est bien connue de même que son goût – et ses compétences avérées – pour la cuisine qu’il aimait faire partager ; il avait aussi un excellent carnet d’adresses de lieux de bonne chère. Dans la vie quotidienne, il montrait les mêmes qualités de rigueur et de minutie, qui le conduisaient souvent à défendre ses idées avec une grande ténacité. Sa générosité humaine s’est aussi manifestée par un investissement, via le Secours Catholique,dans l’aide aux plus déshérités. Sur un tout autre plan, il a pris sa part dans le fonctionnement de la Société Phycologique de France dont il a été le président pendant plusieurs années.Ces aspects humains de sa personnalité l’ont fait apprécier de beaucoup: collègues, élèves, collaborateurs, jusqu’à ces voisins de quartier, comme en témoignent, à côté de nombreux autres exemples, ses relations avec Chadefaud qui a écrit (lettre 26 septembre 1961, à A. Parguey) «[au 4ème congrès d’algologie à Biarritz] une communication vraiment importante fut celle de F. Magne(9) qui ose parler en public et le fait sur un ton si docte, avec une telle autorité, qu’on ne peut douter que ce garçon soit bientôt à l’Académie. En tout cas son travail est remarquable, par les horizons qu’il ouvre sur l’évolution des algues au niveau des Rhodophycées» appréciation qu’il convient de mettre en parallèle avec les remerciements que F. Magne exprime tant dans le mémoire de son DES «[Chadefaud] qui a toujours été un critique et un guide jamais à court de conseils ni d’encouragements» que dans celui de sa thèse «[Chadefaud] qui n’a cessé depuis mes années passées au Lycée(10) de m’honorer de sa bienveillante amitié. Il a guidé mes premiers pas dans le domaine de la botanique et de la cytologie végétale; je lui dois mon engagement dans la carrière scientifique et sans son exemple, ses conseils et ses encouragements, cette thèse … n’aurait probablement pas vu le jour.»
Je fis la connaissance de F. Magne durant l’été 1956, en tant que l’un des douze participants au premier stage de terrain, en biologie végétale marine, organisé à Roscoff par J. Feldmann et lui. Ce stage détermina mon orientation scientifique ainsi que le choix du sujet de mon DES sur les Codium des côtes de France. Je n’oublie pas, non plus, l’empathie qu’il m’a témoignée lors de la disparition si douloureuse de ma mère.
Je dois de précieuses informations à la famille de Francis Magne, aux archives de l’université et des établissements d’enseignement ainsi qu’à de nombreux collègues. Je les remercie tous très vivement pour leur aide et chacun pourra reconnaître son apport au texte de cette notice mémorielle.
René Delépine – Août 2014
(1)Ses recherches pour l’obtention du Diplôme d’Etudes Supérieures, «patronné» par G. Mangenot professeur à la Sorbonne, s’effectuent justement sous la tutelle de M. Chadefaud au Museum National d’Histoire Naturelle.
(2)Le PCB [certificat d’études Physique, Chimie, Biologie] était un certificat préparé dans les facultés des sciences et dont la détention état nécessaire pour entreprendre des études dans les facultés et écoles de médecine. Créé en 1934, il évoluera en 1963 vers le CPEM (certificat préparatoire aux études médicales) puis vers le PCEM (premier cycle des études médicales) en 1969
(3)Magne F. 1964. Recherches caryologiques chez les Floridées (Rhodophycées). Cahiers de Biologie marine. 5: 461-671 ; planches I à XVII
(4)Magne F. 1947. Anatomie et morphologie des asques de quelques lichens. Rev. Bryol. Lichen. 15: 203-209
(5)Magne F. 1956. La végétation marine du Grand Gongloué. Résultats scientifiques des campagnes de la «Calypso» fasc. 2; Annales Institut Océanographique. 32: 163-184
(6)Magne F. 1964. Les Rhodophycées à cycle haplophasique existent-elles? Proceedings 4th International seaweed Symposium p112-116
(7)Magne F. 1972. Le cycle de développement des Rhodophycées et son évolution. Bulletin société. Botanique France, Mémoires p 247-268
(8)Wynne M. J. 2000. Francis Magne: a tribute. Cryptogamie Algologie. 21: 93-95
(9)M. Chadefaud fait justement référence à cette célèbre communication intitulée «les Rhodophycées à cycle haplobionte existent-elles?» mentionnée ci-dessus. Pour ma part elle m’a souvent servi pour illustrer une méthode rigoureuse de raisonnement scientifique basée sur des observations très précises avérées au lieu de s’en remettre à un schéma a priori apparemment «logique».
(10)Cette formulation donne à penser que M. Chadefaud, qui était alors professeur de sciences naturelles au collège Turgot depuis 1929, a déjà pu connaître F. Magne comme élève pendant sa scolarité du 1er cycle. Cela est plausible puisque F. Magne est d’âge à avoir effectué ses classes de la 6ème à la 3ème dans la période 1934 à 1940. Malheureusement toutes les recherches effectuées pour confirmer cette possibilité sont restées vaines.